Le troisième album solo de Beyoncé est très pratique. En effet, les disques de R&B proposent habituellement de brusques changements d’ambiances, nous faisant passer sans ménagement des machines à danser échevelées et pétulantes aux ballades lacrymales.
Là, pas de risque, puisque la jeune beauté solaire livre un double album, ou plus exactement un double demi-album. Pour renforcer le concept de sa double personnalité, elle a choisi de réunir dans I Am uniquement des ballades, et dans Sasha Fierce les up tempos. I Am est donc une collection de slows qui dépeignent sa vraie personnalité de pure jeune fille du Sud, fervente chrétienne (une sorte de reprise un rien pompier de « Ave Maria » que ne renierait pas une Céline Dion dans ses bons jours) et chanteuse appliquée.
Beyoncé a certes une technique irréprochable, elle chante d’une voix pure et « exacte », mais mélodies et arrangements ne sont guère convaincants, et dans cet exercice, elle manque de cette fêlure qui rend une Mary J Blige si crédible. C’est certes un peu cliché, mais on dira que Beyoncé n’a pas assez souffert pour chanter comme une Etta James, qu’elle interprète dans son nouveau film, Cadillac Records. Ce romantisme en satin rose, cette vulnérabilité affichée est assez peu convaincante, et la Beyoncé qui se met (pudiquement) à nu dans ce premier volet est une chanteuse d’envergure finalement modeste : toute en technique et affectation. Passons donc à la Beyoncé sexuelle, agressive, conquérante.
Celle qui a triomphé jusqu’ici, avec Destiny’s Child et depuis, avec les innombrables tubes de ses deux précédents opus. Sasha Fierce est le côté de sa personnalité qui est justement tout ce qu’on aime chez elle, la bombe anatomique capable de transcender un dance floor ou un Bercy, à force de déhanchés hérités de Tina Turner et de vocalises chevauchant des beats irrépressibles. Dès les premières mesures de « Single Ladies (Put A Ring On It) », on est en territoire connu, on retrouve cette couleur de voix familière depuis Destiny’s Child. Pour ce chapitre, elle fait appel à une congrégation de co-producteurs peu connus, pas de Timbaland ni de Pharrell Williams ici, juste un titre écrit avec Rodney Jerkins.
Pas non plus de featuring : aucun rappeur sur ce disque, Beyoncé s’est voulu seule maîtresse à bord de ce troisième effort, et là encore, si on se doit de souligner la recherche de créativité sur les arrangements (de voix), et les effets spéciaux sonores, on reste un peu sur sa faim en matière de hit potentiel du calibre de ceux auxquels elle nous avait habitué. L’ensemble (avec les bonus, car de façon peu démocratique, le « double album » existe en version deluxe avec plus de morceaux disponibles) sonne assez peu R&B, plutôt comme une démonstration de pop technologique, agréable mais qui laisse peu d’impact sur les sens. Le gimmick d’I Am.. Sasha Fierce ne dissimule pas une relative panne d’inspiration pour la diva auto proclamée.
© Jean-Eric Perrin / Music-Story