Chucho Valdes est un géant de la musique cubaine. Fils du pianiste Bebo Valdes, il est le fondateur d’Irakere (1973-2000), l’une des formations les plus influentes du latin jazz. Largement reconnu par ses pairs, Chucho Valdes a reçu, la semaine de la sortie de cet album, son 10e Grammy Award, décerné celui-ci pour l’ensemble de sa carrière. Jazz Batá 2 crée justement une boucle avec sa longue aventure, puisqu’il fait écho à l’album Jazz Batá, enregistré en 1972. Les tambours batá sont les principaux instruments utilisés dans la musique rituelle de la santeria, cette religion syncrétique d’origine yoruba, ethnie dominante du Nigeria, que l’on retrouve aussi dans nombre de pays de la rive droite du fleuve NIger. Comme ses ancêtres, Chucho Valdes a appris à faire parler les dieux. Il existe plus de 400 divinités dans la santeria et chacune répond à son propre rythme. Chucho a transposé ces rythmes sur son piano et Jazz Batá 2 démarre par l’invocation de Obatalá, chef des orishas, garant de la justice et divinité dédiée du musicien.
Son jeu y est possédé et trouve appui sur les percussions de Dreiser Durruthy Bombalé et Yaroldy Abreu Robles, la contrebasse de Yelsy Heredia et leurs chants rituels pour construire son spirituel dialogue. Ochun, la déesse de la beauté est appelée et sa présence s’y manifeste avec un babillage tranquille, évocateur de l’eau des rivières, sur laquelle elle règne. Entre un lyrisme proche du blues ou du gospel, mêlé à des sautillements rythmiques latinos, le piano y dialogue avec le charmant lyrisme du violon de Regina Carter. El Güije, l’elfe protecteur de la nature, est aussi appelé à diffuser son message écologique. Teinté d’une douce nostalgie, 100 Años de Bebo rend hommage au père et maître de Chucho, disparu en 2013, cinq ans avant d’atteindre un siècle d’existence. Jazz Batá 2 se clôt sur un solo de Chucho, The Clown, une pièce virtuose et elle aussi syncrétique. On y aperçoit les fantômes de Debussy, de Satie ou de Cecil Taylor, sans pour autant que ceux-ci effacent son identité cubaine. © Benjamin MiNiMuM/Qobuz