Après Mireille Mathieu, Suzane rejoint le cercle très fermé des chanteuses avignonnaises à voix. Dans le panthéon de la jeune femme se trouve également Édith Piaf, puisqu’elle aime rappeler à chaque concert et interview qu’avant de percer dans la musique, elle essuyait les verres au fond des cafés. Mais comment renouvelle-t-elle cet imaginaire à la fois régionaliste et naturaliste ? Suzane est la fusion apparemment improbable entre « la fleur de province » et un certain courant électro-réaliste de la chanson française, dont Eddy de Pretto est l’un des emblèmes. Au-delà de l’inventaire des verres, Suzane fait surtout celui des maux de notre époque. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la liste est exhaustive, à tel point qu’on pourrait en faire une série façon « Martine » : Suzane se plaint des discriminations physiques (Pas beaux), du harcèlement de rue (SLT), de l’addiction aux smartphones (Monsieur Pomme) et du réchauffement climatique (Il est où le SAV ?), Suzane rêve d’avoir les moyens de faire le tour du monde (Quatre Coins du globe), Suzane rend hommage aux victimes du Bataclan (Novembre), Suzane pourfend l’homophobie crasse (P’tit Gars)… Le menu n’est donc pas des plus digeste, mais c’est ce qui fait aussi, sans doute, la force de Suzane : elle met les pieds dans le plat avec une touchante naïveté qui n’est pas dépourvue de générosité.
Quant aux rythmiques électroniques, elles cherchent systématiquement le contraste avec cet univers terre à terre, tandis que des mélodies lancinantes et mélancoliques à la Stromae accompagnent les exposés de Suzane. Citons L’Insatisfait, portrait d’un chômeur qui cherche à oublier sa condition en fumant des joints, le refrain étant illustré par un gimmick instrumental faisant clairement écho à celui d’Alors on danse. « Vaste programme », comme disait le général de Gaulle. Il faut attendre la dernière chanson, Anouchka, pour que les beats s’effacent et laissent la place à un simple melodica, mais aussi à des paroles plus imagées qui dessinent un portrait subtilement féministe. ©Nicolas Magenham/Qobuz