« Ma plus grande joie, c’est quand quelqu’un me dit : ‘Votre film, c’est mon histoire’ ». Ainsi parlait le grand réalisateur Ettore Scola lorsqu’il évoquait les liens étroits entre son cinéma et le public. A l’écoute du présent disque, on imagine qu’un auditeur italien (ou tout simplement un cinéphile de n’importe quelle nationalité) pourrait dire à Giuseppe Grazioli : « Votre album, c’est mon histoire ». Le chef d’orchestre milanais a sélectionné les 12 morceaux avec une grande intelligence et ouverture d’esprit, à tel point que cette compilation ressemble à un merveilleux voyage dans la grande époque du cinéma transalpin. On notera toutefois l’absence de Nino Rota. Giuseppe Grazioli ayant travaillé sur les enregistrements intégraux du compositeur fétiche de Fellini durant les années 2010, on comprend qu’il ait voulu le laisser un peu tranquille.
C’est le son lyrique et généreux de la musique de film italienne que le chef d’orchestre a d’abord voulu mettre en valeur, avec l’aide d’un orchestre qui déclame des mélodies, connues ou moins connues, dans un souffle à la fois grandiose et sophistiqué. La mélodie pour hautbois de Anonimo veneziano (qui ouvre l’album), composée par Stelvio Cipriani, est une sorte d’hymne pour de nombreux italiens, au même titre que certains airs de Verdi ou Puccini. Mais Italian Soundtracks s’offre également (certes plus rarement) quelques incursions dans le jazz, en particulier dans La Notte Brava d’après Pasolini (1959, musique de Piero Piccioni). On trouvera également un morceau à la construction étonnante et totalement inclassable, tiré d’un film de Valerio Zurlini (Cronaca familiare, 1962). L’aria à la manière de Bach que Goffredo Petrassi a écrit pour ce long métrage a la caractéristique de prendre petit à petit une forme trouble, voire angoissante. Petrassi a l’audace de passer du baroque au contemporain dans le même titre.
Enfin, le disque ne fait pas l’impasse sur deux stars du genre : Ennio Morricone bien sûr (Le Clan des Siciliens, 1969 – petit clin d’œil aux cousins français) et Armando Trovajoli. De ce dernier, on appréciera Profumo di donna, ainsi que la suite tirée de C’eravamo tanto amati (les deux films datent de 1974). L’orgue et la guitare folk laissent la place au piano et à toutes les couleurs de l’orchestre symphonique. En d’autres termes, ce n’est pas une frêle nostalgie qui est à l’œuvre dans cet album, mais le souvenir puissant d’un Âge d’Or musical et cinématographique qui est désormais révolu. De nostalgie, il est également question dans La famiglia de Scola (1987), sorte de chant du cygne du grand cinéma italien. A l’autre bout de la chaîne du temps, on trouvera les musiques enlevées d’Alessandro Cicognini, comme celle de Totò, Peppino e i fuorilegge (1956), ainsi que Pane, amore e..., comédie de Dino Risi, sortie en 1955. Pour cette dernière BO, c’est une certaine tradition musicale italienne qui est à l’honneur, grâce à son « folklore imaginaire », comme dirait Bela Bartok. Cet album dans son ensemble prouve que la musique de film est l’un des nouveaux folklores d’une nation, un folklore qui a la particularité de s’inspirer à la fois de la musique populaire et des grands classiques (Vivaldi, Donizetti, Verdi, Puccini). Pour Giuseppe Grazioli, « le but était entre autres de redonner dignité à ces compositeurs trop souvent considérés comme étant de seconde zone. C’est pourquoi on les a traités comme si c'était du... Mahler ou du Strauss. Sans aucun préjugé et en soignant particulièrement le son ». Bravo Maestro ! ©Nicolas Magenham/Qobuz