À près de 85 ans, l’icône du blues british se porte à merveille, et même mieux. En s’essayant par la force des choses à une formule en trio, il a retrouvé comme une seconde – ou plutôt une cinquième ou sixième – jeunesse. Ce n’est en effet pas la première fois qu’il repart à l’aventure suite à une défection plus ou moins indépendante de sa volonté. Après Eric Clapton, Mick Taylor, Peter Green, Harvey Mandel, James Quill Smith, John Trout, Coco Montoya et quelques autres, c’est au tour de Rocky Athas de déclarer forfait pour une curieuse histoire d’avion manqué. Plutôt que de lui trouver un remplaçant, son carnet d’adresses étant plus que rempli, il a préféré se contenter de sa section rythmique, composée du batteur Jay Davenport et du bassiste Greg Rzab, qui lui est fidèle depuis la fin des Bluesbreakers en 2008, tout comme l’était Athas. Dans le public présent, pas un ne semble se plaindre de l’absence de guitare et de la proéminence des claviers et de l’harmonica de Mayall.
À l’écoute de ce live à la prise de son d’une rare perfection, on approuvera également ce choix qui aurait pu se révéler malheureux. On en voudra pour preuve le Big Town Playboy qui ouvre les festivités. On pourra comparer avec la version studio de ce titre signé Eddie Taylor, sur l’album A Special Life, pour constater que, non seulement, le patron tient la baraque sans la moindre faiblesse, mais que ses deux complices font mieux que le soutenir, ils le stimulent. Comme le disent souvent les Britanniques, « less is more ». La démonstration sera la même pour le Don't Deny Me de Jerry Lynn Williams, présent sur le dernier album studio en date de Mayall, Talk About That, ou le I Feel So Bad de Sam Hopkins, extrait du précédent, Find a Way to Care.
Afin que la pression ne retombe pas après cette entrée en matière tonique, Mayall a prévu une sélection de titres suffisamment variée et judicieuse, ni trop prévisible ni trop élitiste. Il n’a retenu que deux de ses compositions, le très jazzy Lonely Feeling et Streamline, dont il ne se lasse pas depuis 1967, lorsqu’il l’a enregistré avec Mick Taylor sur Crusade. Pour rester dans une humeur plutôt lounge et jazzy, Mayall a intégré Riding on the L&N de Lionel Hampton et The Sum of Something de Curtis Salgado. Mais là où il se sent pousser des ailes, c’est encore dans les longues digressions où les trois musiciens jonglent à l’unisson, sur Tears Came Rolling Down (Henry J Townsend), à son répertoire du milieu des années 60, et surtout sur l'exaltant Congo Square, emprunté à Sonny Landreth en 1990 (pour A Sense of Place). Le plaisir de Mayall, qui aurait toutes les raisons d’être blasé depuis des années, transpire de façon réjouissante dans ce live qui devrait, logiquement, être suivi d’un album studio sur les mêmes bases. © Jean-Pierre Sabouret/Qobuz