Quatorze mois. L'accouchement de "Donne-moi de l'amour", troisième album studio de Starflam aura nécessité quatorze mois de dur labeur. Avec une règle de départ qui sonne dès à présent comme un leitmotiv. Faire table rase du passé. Effacer tout. Recommencer à zéro. Car rien n'est acquis dans le hip-hop. Même lorsqu' on s'est imposé comme la formation la plus populaire sur son territoire. Surtout lorsque "Survivant", l'album précédent, a été certifié disque d'or en Belgique en s'offrant le luxe de faire exploser toutes les barrières. Stylistiques ou linguistiques...
Sans rien changer à ses habitudes, c'est à la maison, à Liège, au studio Le Chénée Palace (ex "Panoramix"), que Starflam est reparti à l'assaut. Avec toujours cette science du beat, ces trouvailles sonores , ce flow limpide et ce subtil mélange de poésie et de militantisme intelligent. L'intelligence, le grand mot... Par facilité, on dira que "Donne moi de l'amour" est l'album le plus personnel de Starflam. Par cliché, on ajoutera que c'est celui de la maturité. Des mots. Encore des mots...
La plage titulaire, et premier single imposé par le groupe, est plus qu'un indice : une confirmation. Starflam ne fait rien comme les autres. Il survient là où on ne l'attend pas. Il prend la tangente. Le contre-pied. "La vraie provoc' en hip-hop, ce n'est plus dire < Nique le monde > , c'est parler d'amour, de tolérance", lâchent-ils avec conviction.
L'amour est bien le fil conducteur de cette collection de 18 plages. Mais il n'empêche pas les souvenirs. La nostalgie aussi. Celle de la première fois comme l'illustrent "Retour à l'adolescence", "Situe" ou encore "Sueur d'alcool". Mais qu'on ne s'y trompe pas, Starflam reste toujours "En alerte" face à tous ceux qui "ne savent pas". Ou plutôt qui ont oublié ("Le temps qui passe").
Starflam, lui, n'oublie pas. Tout en évitant de jouer les donneurs de leçons ou les grands moralisateurs, la formation joue avec les mots et dénonce les maux. L'humour est toujours là. Le vécu lourd de sens et d'émotions également.
Musicalement, la formation sort encore des sentiers battus. Le flow limpide et contrasté des cinq mc's peut s'appuyer des beats inventifs enfantés par DJ Mig One. Ici, c'est un martèlement à 125 BPM qui secoue les sens ("Dans l'empressement part 1"). Là, c'est une entêtante ligne de claviers qui irradie "L'envers du décor". Il y a aussi cette basse lourde comme une enclume sur "Donne-moi de l'amour", le tempo gonflé à l'EPO sur "Antistatique" ou les airs de soundtrack imaginaires de "Mr Orange ". Oui le "Mister orange" qui balançait ses compagnons d'équipées dans "Reservoir Dogs".
Starflam sacrifie aussi volontiers à la tradition des featurings. Sauf qu'ici, il y a souvent une bonne raison qui va bien plus loin que le coup de pouce ou le renvoi d'ascenseur. Le Rat Luciano, Arsenik, Buckshot, Reggie (Indeep), Profecy et tous ces talents moins connus de chez nous (Sly-D, Tita, Modal et Nader) qui viennent s'éclater sur "One-two", freestyle incendiaire qui clôture cette pièce maîtresse.
Starflam n'oublie pas. Nous non plus. Les débuts en 96 sur les cendres des "Malfrats linguistiques". Un premier album éponyme en 1997 avec "Ce plat pays" et "El diablo" immuables temps forts de leurs concerts. Starflam : cinq mc's et deux concepteurs musicaux qui connaissent les galères, les galas, les plans foireux, les espoirs, les désillusions et la consécration. En 2001, surgit "Survivant" qui va asseoir une réputation déjà glanée sur toutes les grandes scènes, en festival, en tête d'affiche ou en première partie de Rage Against The Machine, des Beastie Boys, NTM, Assassin, ou encore Mos Def. "Survivant" leur permet de s'exporter mais pas de la jouer. Le groupe sait d'où il vient et repart sur le bon pied. Avec un seul message : "Donne-moi de l'amour".
Luc Lorfèvre. Juillet 2003