Fondé en 1988, l'orchestre du Lincoln Center de New York s'est rapidement retrouvé entre les mains du trompettiste et chef d'orchestre Wynton Marsalis, qui lui a donné ses lettres de noblesse en l'attirant vers la scène et les studios, faisant quelque fois appel à ses services pour ses propres albums. Après avoir rendu divers hommages à Duke Ellington, Charles Mingus, John Lewis ou John Coltrane, l'ensemble à la généreuse section de cuivres se penche sur le répertoire du saxophoniste Wayne Shorter, grande figure du hard bop et du jazz fusion, toujours en activité soixante ans après ses débuts aux côtés d'Horace Silver, John Coltrane et Art Blakey.
Selon son leader, l'idée est de reprendre et de ré-arranger quelques-uns des grands thèmes d'un compositeur pour les adapter au format du big band, comprenant six saxophones, quatre trompettes, trois trombones, une contrebasse, un piano et une batterie. Pour mener à bien ces projets, Wynton Marsalis s'est entouré de solistes réputés comme Ryan Kisor, Marcus Printup, Elliot Mason, Vincent Gardner, Robert Stewart, Ted Nash, Carlos Henriquez ou Kenny Washington. Le catalogue de morceaux novateurs de Wayne Shorter n'étant guère simple à reproduire, ce dernier est venu prêter main-forte en prodiguant ses conseils doublés d'anecdotes sur tel ou tel classique de son cru.
La sélection de dix standards du musicien s'avère assez équilibrée entre les chefs d'oeuvre du label Blue Note des années 1960 et les excellents thèmes délivrés par la suite au sein d'albums moins connus voire mal-aimés comme Atlantis (1985), dont sont extraits l'indispensable « Endangered Species » et son jumeau « The Three Marias ». Traités dans un style traditionnel, ces deux pièces trouvent un charme nouveau sous la suavité orchestrale du Jazz at Lincoln Center Orchestra (ex-Lincoln Jazz Center Orchestra). Dans un esprit différent, « Diana » charme autant qu'à ses débuts dans le merveilleux album de métissage entre le saxophoniste et le chanteur brésilien Milton Nascimento, Native Dancer, paru en 1974 et à (re)découvrir si ce n'est déjà fait.
Mais évidemment, outre l'absence vraiment curieuse de « Footprints », qui a pourtant laissé une empreinte indélébile dans l'histoire du jazz et contribué au statut du compositeur, c'est vers la période hard bop que se tourne en priorité l'album de reprises, s'ouvrant avec le majestueux « Yes or No » du fameux Juju (1964) et se poursuit par une série de grands extraits : « Contemplation » et « Hammer Head », inaugurés avec The Jazz Messengers sur Buhaina's Delight (1963) et Free for All (1964), « Armageddon » tiré du méconnu Night Dreamer (1964) et évidemment l'un des moments forts de l'impeccable Adam's Apple (1966), en l'occurrence le titre « Teru ». Quoique parfois trop classiques en regard des versions originales, ces interprétations en facilite l'accès à l'auditeur qui voudrait se plonger dans une oeuvre prolixe, de laquelle sont également puisés « Mama G », présent sur le premier album Introducing Wayne Shorter (1959) et « Lost », sur The Soothsayer (1979).
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