Il faut une forte dose de courage et de culot pour se lancer dans une intégrale des préludes et fugues du Clavier bien tempéré de Bach – dont voici livré le premier livre –, avec l’invraisemblable quantité de prédécesseurs, et non des moindres. Il faut également une énorme capacité « d’oubli » pour tenter de ne pas trop se laisser influencer par ce qui a été fait auparavant et depuis des décennies, les réussites autant que les choses moins inspirées, les lectures « pures » et les lectures plus arbitraires, sans parler même de l’antagonisme entre tenants du piano et inconditionnels du clavecin. La pianiste allemande, née russe, Dina Ugorskaïa (*1973) se lance dans la grande aventure, avec la bénédiction de la Radio bavaroise dans les studios de laquelle a été réalisé cet enregistrement. Ugorskaïa, bercée initialement de l’école russe – études au Conservatoire de Leningrad – s’installe en Allemagne dès la chute de l’URSS et y poursuit depuis une carrière internationale qui l’a menée au Gewandhaus de Leipzig, à la Nordwestdeutsche Philharmonie et nombre d’autres orchestres du pays, ainsi qu’à l’étranger, notamment en France et en Autriche. Sa lecture de ce monument, très axée sur la clarté des lignes contrapuntiques, dans une sonorité dénuée de tout effet « à la romantique », s’éloigne de bien des habitudes d’écoute, pour offrir une conception très puriste qui accepte volontiers l’héritage d’une Wanda Landowska, Rosalyn Tureck ou András Schiff, tout en ne refusant pas la vision puissamment architecturée de Gould – dont elle s’éloigne par ailleurs du tout au tout, en particulier dans les tempi. A découvrir. © SM/Qobuz