Quelquefois, la réputation d’un interprète peut être un puissant levier servant à découvrir un compositeur méconnu voire inconnu. C’est le cas de cet album monographique consacré à des œuvres du compositeur danois Bent Sørensen (né en 1958), écrites spécialement pour trois musiciens nordiques : le pianiste Leif Ove Andsnes, le clarinettiste Martin Fröst et la trompettiste Tine Thing Helseth. La musique profondément nostalgique de Bent Sørensen, né en 1958, s’écoute comme on regarde un tableau patiné et vieilli par le temps, comme ces photos jaunies que l’on ressort d’un carton un jour de pluie. Elle procède par réminiscences, avec des bouffées de tonalité et de glissandos venant brouiller l’harmonie comme un rêve disparaissant peu à peu de notre mémoire.
Avec sa structure en cinq mouvements, le second concerto pour piano, La Mattina, composé entre 2007 et 2009, est basé sur le souvenir d’un après-concert dans un bar au cours duquel Leif Ove Andsnes avait joué un Choral de Bach transcrit par Busoni. C’est ce moment magique que Sørensen a prolongé tout au long de cette partition qui tend la main vers la métaphysique sur des bases classiques avec une instrumentation identique à celle du Concerto n° 17 de Mozart. Le résultat est troublant et puissamment envoûtant.
Serinidad, pour clarinette et orchestre, date de 2011. Tout au long de son travail, le compositeur était obsédé par l’image d’une clarinette planant comme un oiseau essayant de s’échapper de l’orchestre et de la salle de concert, comme pour quitter son nid. La mélancolie, encore elle, rejoint ici un romantisme moderne dans lequel la voix du soliste intervient dans une sorte de murmure chanté. Le Concerto pour trompette (2012-2013) reprend l’effectif classique de ceux de Haydn et de Hummel mais avec des sonorités d’aujourd’hui. La musique naît des frottements de mains et de papier de verre, créant un monde sonore précédant l’entrée de la trompette, comme on entre dans une forêt avec son mystère et ses zones d’ombre. La musique de Bent Sørensen, oscillant sans cesse entre conscience et inconscience, est un univers fascinant ; une source perpétuelle de rêve et d’émerveillement. © François Hudry/Qobuz